Michel Polnareff, 2005. Crédit Henry RougetMichel Polnareff, 2005. Crédit Henry Rouget ©Henry Rouget

Le chanteur exilé aux États-Unis est de retour en Europe pour une « dernière tournée » lancée le 3 avril à Londres et un « ultime album », paru le 25 avril. Court, mais plutôt réussi, Un temps pour elles rappelle sa passion pour la mini-symphonie pop. Et la voix est toujours là. Sa récente prestation « best of » au Printemps de Bourges a fait l’unanimité. « À Forest, vous aurez aussi droit à quelques nou­velles chansons, promet-il. L’accueil sur cet album est formidable et je pense sans la moindre prétention qu’il le mérite vraiment. C’est de l’authen­tique, du vrai. Non pas que les autres étaient faux, mais Un temps pour elles est plus fluide et plus spontané dans sa démarche. »

Est-ce vraiment votre dernière tournée et votre dernier album comme vous l’annoncez ?

Je ne mens pas. Un temps pour elles, qui vient de sortir, est mon dernier album à ce jour. Cela ne veut pas dire qu’il n’y aura pas un prochain disque. Pareil pour la tournée qui passera par la Belgique.

Avec huit titres, Un temps pour elles est un album très court. Comment l’avez-vous abordé ?

La durée d’un album, le temps qu’on y passe ou le nombre de chansons importent peu. Je ne réfléchis pas comme ça. Ce qui compte, c’est l’âme qu’on y met. Mon but était de sortir quelque chose que j’avais envie de chanter. Même si j’ai écrit beaucoup de chansons sur mes disques précédents, je suis habitué à m’entourer d’auteurs. Cette fois, je ne sentais pas de complicité avec les propositions que je recevais, je n’étais pas sur la même longueur d’ondes. Passé un moment d’angoisse, j’ai finalement ressenti du plaisir à me retrouver face à une page blanche. Comprenez, la musique, j’en chie tous les jours. Elle me vient comme ça. Les textes, c’est plus compliqué. Dès que je mets des mots sur mon laptop, ça pose une frontière à l’imagination du compositeur et, quelque part, je me sens enfermé. C’est pourquoi j’ai mis des instrumentaux sur Un temps pour elles.

Des titres comme « Solstice » ou « Un moment » sont proches de la musique classique. Est-ce une manière de vous réconcilier avec son apprentissage précoce qui vous a valu d’être battu par votre père ?

Ce n’était pas de l’apprentissage. C’était de l’esclavage musical. Comme je l’ai écrit (dans son autobiographie Polnareff par Polnareff, Grasset, 2004, NdlR), j’étais pris en sandwich entre les voisins qui tapaient sur le plafond parce que je jouais à toute heure et celui qui me cognait ­dessus quand je faisais une fausse note. Mais j’ai pardonné à mon père. C’était important. Après avoir symbolisé quelque chose de pénible, le piano est devenu mon copain.

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Les concerts de cette tournée s’ouvrent avec « Le bal des Laze », chanson culte datant de 1966. C’est vrai, tous ces trucs de fou qui se seraient passés en studio ?

Je voulais créer une ambiance biblique dans le studio Barclay. J’ai demandé qu’on installe un orgue Hammond de couleur blanche et 5000 cierges. Avec « Le bal des Laze », j’avais envie de faire quelque chose d’important qui a été évidemment bafoué à l’époque. La chanson a été interdite d’antenne à cause de sa phrase d’ouverture : « Je serai pendu demain à l’aube ». On peut dire ça au théâtre, mais pas dans une chanson qui s’adresse à des jeunes. Les radios ont préféré ­diffuser la face B du 45 tours, « ‘Y a qu’un cheveu (sur la tête à Mathieu) », un truc « stupido-marrant ».

Vous rechantez aussi votre premier 45 tours, « La poupée qui fait non », enregistré à Londres en 1966, avec un certain Jimmy Page, futur Led Zeppelin, qui se plante à la guitare. Pourquoi avoir gardé son erreur ?

Je n’avais pas le choix. À Londres, pour des raisons syndicales, je n’avais pas le droit de jouer moi-même de la guitare. Je devais travailler avec des musiciens anglais. J’ai choisi Jimmy Page et John Paul Jones qui allaient bientôt former Led Zeppelin. À un moment, Jimmy fait un pain sur un accord de guitare à douze cordes. Je n’ai pas osé demander qu’il fasse une autre prise. Pas de budget. C’est devenu le pain le plus célèbre de l’histoire de la pop.

En 1971, vous êtes le premier chanteur français à aborder le thème de la dépression et du suicide avec « Qui a tué Grand- maman ? » Vous considérez-vous comme un auteur engagé ?

C’était un hommage à mon imprésario Lucien Morisse (ex-directeur des programmes d’Europe 1, découvreur de Dalida et Christophe, NdlR). J’ai cherché à comprendre les raisons de son geste. Je crois que je n’étais pas loin quand j’ai trouvé la formule « le bulldozer a tué Grand-maman et changé ses fleurs en marteau-piqueur ». Parfois, ça devient beaucoup trop dur de supporter des environnements tristes. C’est assez visionnaire comme image. Le message touche encore aujourd’hui. Et puis moi, j’ai toujours préféré les fleurs au ciment.

Michel Polnareff, 2005. Crédit Henry RougetMichel Polnareff, 2005. Crédit Henry Rouget ©Henry Rouget

« Goodbye Marylou » est le titre préféré de votre public. Est-ce aussi le vôtre ?

Je n’ai pas de chanson préférée. J’aime toutes les chansons que j’ai sorties, hormis « Tous les bateaux, tous les oiseaux ». Celle-là, je n’aurais pas dû l’enregistrer. Elle ne me convient pas. Les chansons qui se retrouvent au-dessus du lot comme « Goodbye Marylou », « La poupée qui fait non » ou « Lettre à France », c’est grâce au public qui leur a donné ce statut d’incontournables.

Hormis Johnny Hallyday, vous avez très peu côtoyé vos « collègues » de la chanson française. Vous avez l’impression d’être dans la marge ?

Je ne me rends pas compte. C’est peut-être là tout le problème. Je me sens profondément normal. Tout ce que je fais correspond exactement à ce que je suis. Mais, vu de l’extérieur, ce n’est pas toujours ressenti comme ça. En fait, c’est peut-être parce que je suis normal qu’on me considère dans la marge.

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L’appel au sexe dans « L’amour avec toi », votre postérieur sur les affiches annonçant vos concerts à Paris en 1972… Tous ces « scandales Polnareff » étaient-ils des actes « normaux » ?

Il faut croire que non puisque ça m’a valu des cen­sures et des procès. Je ne vais pas mentir, il y avait parfois un peu de préméditation. Ça ne se disait pas comme ça à l’époque, mais je voulais faire le buzz. Je me suis battu pour ça. Mes fesses à l’air pour annoncer la tournée Polnarévolution en 1972, personne n’en voulait. Mon manager, ma maison de disques, les afficheurs étaient tous contre. Mais tout le monde en a parlé et la tournée a été un triomphe.

Lorsqu’on s’était rencontrés en 2016, vous nous aviez dit : « J’ai montré mes fesses à la France mais je n’ai jamais baissé mon froc ». Vous persistez ?

Oui, je persiste et je revendique. C’est l’une de mes plus grandes fiertés. Je suis libre. Je dis ce que je veux. Quand je n’ai rien à dire, je me tais, je disparais, on ne m’entend pas. Et puis je sors un disque et c’est « coucou, me revoilou ».

Il y a eu de très longues pauses dans votre parcours. Des regrets ?

Non, aucun. Ces pauses expliquent aussi la raison pour laquelle je suis toujours là aujourd’hui. Je n’ai jamais confondu ma vie d’homme et ma vie d’artiste. Il y a eu des moments où j’ai eu envie de profiter à fond de cette vie d’homme, de connaître les excès, la solitude et des tas d’autres choses. J’ai toujours essayé de répondre à mes envies et non pas à des obligations.

Vous allez avoir 81 ans ce 3 juillet. Qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter de mieux ?

Être présent, c’est déjà très bien.

Le 17/5, Forest National, Bruxelles.

Toujours en voix

Huit titres pour 31 minutes de musique. Le onzième album de Michel Polnareff va à l’essentiel. C’est le moins qu’on puisse dire. Enregistré entre la France, l’Écosse, Londres et son studio californien, Un temps pour elles (oui, il y a un jeu de mots) marque, selon son auteur et compositeur, un « acte de réconciliation de toutes ses influences ». À 80 ans, Michel Polnareff est toujours en voix et garde cette capacité à construire de mini-symphonies pop à la fluidité mélodique rare. Côté réussites, on pointe deux très grandes chansons emmenées en piano/voix : « Tu ne m’entends pas », chro­nique mélancolique d’un amour détruit et « Un temps pour elles » sur fond de palmiers, de soleil et d’océan Pacifique. Au poussif « Sexcetera » et à « Quand ‘y en a pour deux », on préfère se blottir dans deux des quatre plages instrumentales ­proposées : « Solstice » dont la mélodie rappelle la beauté pure de « Lettre à France » et le néoclassique « Villa Cassiopée ».

> Un temps pour elles, Warner