Successeur de Jacques Chirac et prédécesseur de Bertrand Delanoë, l’ancien maire de Paris, est décédé ce mardi à 90 ans ce mardi. Il fut élu du 5e arrondissement de la capitale durant un demi-siècle.

Lorsque, à tout juste 30 ans, le jeune magistrat fait une entrée discrète au Conseil de Paris, il ne se doute pas qu’il sera trente ans plus tard le héros malgré lui d’une de ces guerres qui ont scandé l’histoire de la droite française et qui se conclura par la victoire de la gauche à Paris. Si Jean Tiberi accéda à une notoriété nationale, c’est en raison de ces années du crépuscule chiraquien dans la capitale. Pourtant, élu du 5e arrondissement durant un demi-siècle (1965-2014), et à la tête de l’Hôtel de Ville durant un mandat (1995-2001), il fut d’abord un amoureux de Paris et l’archétype de l’élu de terrain connaissant chaque habitant par son nom et attentif à chaque mètre de trottoir.

D’origine corse, Jean Tiberi est né le 30 janvier 1935 dans le 5e arrondissement dans la même clinique que Jacques Chirac. Magistrat – il fut substitut à Metz et à Meaux puis juge à Beauvais -, il entre en politique dans le sillage d’un autre juriste, René Capitant, chef de file des « gaullistes de gauche » hostiles à Pompidou. Il entre au Conseil de Paris en 1965, à la faveur de la première des huit élections municipales, qu’il remportera toutes, dans le 5e arrondissement. Trois ans plus tard, Capitant devenant garde des Sceaux, il reprend son siège de député, qu’il conservera quarante-quatre ans durant.

Tiberi c’est le Ve et le Ve, c’est Tiberi. Parmi tous les barons gaullistes parisiens, il est incontestablement celui qui s’identifie le plus à son quartier. Avec son épouse, Xavière, Corse au franc-parler avec qui il aura deux enfants, Hélène et Dominique, ils ne manquent aucune fête d’école et n’éludent aucune demande ; un zèle d’arrondissementiers sous lequel des adversaires moins actifs virent du clientélisme. Mais avant que l’ombre des « affaires » plane sur la municipalité parisienne, l’omniprésence et l’engagement total du couple Tiberi sont cités en exemple.

Aussi, lorsque Jacques Chirac, après avoir claqué la porte de Matignon et créé le RPR, se lance à l’assaut de l’Hôtel de Ville, en 1977, il choisit de figurer sur la liste de Tiberi dans le Ve, un gage de tranquillité qui lui permet de faire campagne dans le reste de la capitale.

Fidèle chiraquien

Pour Chirac, Tiberi devient dès lors indispensable. Alors qu’il doit conjuguer gestion municipale et combat national, il sait que la « maison » sera bien tenue par celui qu’il nomme second puis, six ans plus tard, premier adjoint. Quand le patron du RPR fait des grands choix politiques, son bras droit assure leur préparation technique et veille au suivi de leur mise en œuvre. Quand son agenda ne lui permet pas de répondre à toutes les sollicitations, il sait que son adjoint sera toujours là pour le remplacer. Si des jeunes loups envoyés à la conquête d’arrondissements de gauche rôdent avant tout une carrière nationale (Alain Juppé dans le XVIIIe, Jacques Toubon dans le XIIIe, Alain Devaquet dans le XIe), Jean Tiberi, se consacre exclusivement à la capitale.

Mais s’il ne veut que Paris, il ne veut pas que Paris lui échappe. En mai 1995, comme tous les lieutenants chiraquiens, il se réjouit de l’entrée à l’Élysée de son champion. Mais pour l’Hôtel de Ville, Chirac a d’autres idées. Il pense à Juppé, lequel préfère prendre son autonomie à Bordeaux. Il envisage la promotion d’Édouard Balladur, en signe de réconciliation après la cassure de la présidentielle. Il envisage aussi de récompenser le fidèle Toubon.

Mais pas question pour Tiberi, après tant d’années d’abnégation, de se voir doubler par moins dévoués que lui. Il va jusqu’à refuser la Chancellerie pour obtenir le vaste bureau d’angle de l’Hôtel de Ville. Et le 16 mai 1995, il devient maire de Paris. Son Graal. Même si les municipales, reportées au lendemain de la présidentielle, se traduisent par la perte au profit de la gauche de six arrondissements de l’Est.

Figure de proximité

Quelque chose est cassé dans la puissante machine RPR de la capitale. Et surtout quelque chose est brisé dans la relation personnelle entre Chirac et son successeur, qui sait qu’il n’a pas été un premier choix. Cette double victoire, présidentielle pour Jacques Chirac, municipale pour Jean Tiberi, sonne la fin de l’histoire heureuse des « amis de l’Hôtel de Ville ».

Une page heureuse aurait pu s’ouvrir pour le numéro deux devenu numéro un. Il aurait aimé incarner une figure de proximité après une figure nationale. Être le maire des Parisiens après le maire de Paris. L’édile s’occupant de la vie quotidienne de ses administrés après le premier magistrat ayant fait de la capitale le marchepied de ses ambitions nationales.

Tiberi aurait pu être en 2001 ce que Bertrand Delanoë sera en 2008. D’ailleurs, c’est lui qui, avant ses successeurs socialistes, mettra en place les toutes premières pistes cyclables en cherchant déjà à réduire la place de la voiture. C’est lui aussi qui lancera les études en vue du tramway des boulevards des maréchaux.

Carrière éclaboussée par des affaires

Mais très vite, le parfum des « affaires » empoisonne sa mandature. Des travaux dans des logements de la ville attribués à ses enfants, l’opacité des procédures des marchés HLM puis la suspicion d’un système de « faux électeurs ». Plusieurs dossiers ne visent pas le seul Tiberi mais il devient le symbole de la fin d’un système.

En 1999, un « putsch » interne au RPR parisien tente de le faire remplacer par Jacques Toubon. Mais Tiberi s’accroche. Tout comme il refuse aux municipales de céder la place à Philippe Séguin, adoubé par Chirac et le RPR. Tiberi le loyal est devenu Tiberi le rebelle. Sa résistance surprend mais la droite parisienne paie le prix d’une guerre fratricide d’une rare violence. En 2001, la division de la droite offre les clés de l’Hôtel de Ville au PS.

Coincé entre les trois mandats de Chirac et les quatre de Delanoë-Hidalgo, Tiberi fut un maire éphémère alors qu’il fut un élu au long cours. Il aura peut-être moins marqué Paris que Paris l’a marqué. Mais le Ve gardera le souvenir d’un élu de proximité comme peu de villes et peu de quartiers en ont connu.

De nombreuses réactions

«J’apprends avec beaucoup de tristesse la disparition de Jean Tiberi qui fut quatre mandats durant le maire engagé du 5e arrondissement. À son épouse et ses enfants, j’exprime mes condoléances les plus sincères», écrit sur Facebook la maire du 5e arrondissement Florence Berthout.

«Paris, sa ville, lui rendra hommage», a annoncé la maire socialiste Anne Hidalgo. «Je veux saluer la mémoire de cet homme qui a consacré une part immense de sa vie à Paris et au 5e arrondissement, qui perd l’un des siens. Je garderai le souvenir d’un homme chaleureux, avec qui j’avais tissé des relations cordiales et respectueuses.», a-t-elle dit dans un message transmis à l’AFP. «En sa mémoire, les drapeaux de tous les équipements municipaux seront mis en berne et des registres seront ouverts à l’Hôtel de Ville, au 29 rue de Rivoli, pour permettre aux Parisiennes et aux Parisiens de témoigner de leur affection», a-t-elle précisé.

Rachida Dati, ministre de la Culture et maire du 7e arrondissement, a également réagi en publiant sur X ce message : «C’est avec une profonde émotion que j’ai appris la disparition de Jean Tiberi. Parisien du 5 arrondissement qu’il affectionnait tant, il a su porter haut les couleurs de la capitale, comme 1 adjoint de Jacques Chirac, député, ministre et surtout comme Maire de Paris. Son souci constant de préserver la beauté de Paris ou encore le lancement du premier plan vélo, resteront un héritage précieux pour tous les Parisiens. En ces moments que je sais douloureux, j’adresse à sa famille et à ses proches mes pensées les plus sincères.

Renaud Muselier a, lui aussi, réagi au décès de Jean Tiberi : «C’est avec tristesse que nous apprenons le décès de ce grand homme politique, aimé et respecté de tous les Parisiens. Au nom de la Région Sud, j’adresse mes pensées à sa famille et ses proches».