Cardiologues et chercheurs au sein du Centre d’investigation clinique plurithématique (CIC-P) du CHRU de Nancy , le Pr Nicolas Girerd et D r Guillaume Baudry ont conduit une étude en association avec la Caisse Nationale de l’Assurance Maladie (CNAM) et des experts nationaux, sur l’importance d’un suivi cardiologique chez les patients atteints d’insuffisance cardiaque. Présente en mai à Belgrade au congrès européen de l’insuffisance cardiaque, l’équipe nancéienne a présenté les résultats de plusieurs de ses travaux dont une partie a été publiée presque simultanément dans la revue scientifique de référence « European Heart Journal (EHJ) ».
C’est le cas de l’investigation menée sur une cohorte de 655 919 patients identifiés comme insuffisants cardiaques au 1er janvier 2020. Le groupe de cardiologues et de statisticiens a analysé le suivi médical de ces malades sur deux ans. Ils en sont arrivés à la conclusion qu’une consultation cardiologique lacunaire, voire inexistante, obérait significativement le pronostic des malades, alors que la gravité de leur maladie nécessiterait « d’optimiser le management global de la maladie », indique le Pr Nicolas Girerd , coordonnateur du CIC-P. Cette insuffisance de recours à une prise en charge cardiologique aggraverait le pronostic de l’insuffisance cardiaque.
1,5 million d’insuffisants cardiaques
La France dénombre plus d’insuffisants cardiaques que les 655 919 répertoriés dans les fichiers de la CNAM. « On les estime à 1,5 million », chiffre Nicolas Girerd. Les cardiologues ont constaté que 40 % des 655 919 patients examinés n’avaient pas vu de cardiologue dans l’année, soit 1 sur 2,5 patients. « Ce sont généralement des patients un peu plus âgés, plus souvent des femmes », précise Nicolas Girerd. Au cours du suivi, la « différence est patente entre ceux qui voient un cardiologue dans l’année et ceux qui n’en voient pas : l’écart est de 6 à 9 % de mortalité à un an », souligne le cardiologue. Il a ainsi été observé que les patients hospitalisés il y a moins d’un an qui ne voient pas de cardiologue ont 34 % de risque de mourir dans l’année, contre 27 % pour ceux qui voient une fois un cardiologue. Ceux qui n’ont pas été hospitalisés et ne sont pas sous diurétiques, passent de 13 % à 7 %, selon la présence ou non d’un suivi cardiologique.
Défaut d’organisation ?
Que révèle cette étude au-delà du constat ? « Ces résultats nous amènent à penser qu’il peut exister des difficultés d’organisation des soins, variables d’un territoire à l’autre, qui influencent, évidemment, la prise en charge des patients », suggère Nicolas Girerd. Autre explication possible des écarts de pronostic : « L’usage différencié des traitements. » « Les cardiologues utilisent davantage les nouvelles molécules disponibles pour traiter l’insuffisance cardiaque, notamment l’insuffisance dite à fraction déjection altérée. Ces traitements devenus plus complexes au cours des quinze dernières années requièrent l’expertise spécifique des cardiologues. Leur prescription plus intensive et adaptée pourrait en partie expliquer les différences de mortalité observées. »
Reste à savoir comment faire mieux avec la baisse du nombre de cardiologues. « Pour optimiser les ressources, préconise l’étude, il faudrait une consultation par an pour ceux qui sont à risque faible, deux-trois consultations pour les patients à risque moyen et quatre consultations pour les patients à très haut risque. Il faudrait graduer, or, on observe que cette hiérarchisation n’existe pas pour l’instant. » « L’outil pronostic simple que nous proposons pourrait aider à guider la fréquence des consultations », extrapole Nicolas Girerd. L’étape suivante consistera à confirmer ces premières observations en vérifiant si la mise en place d’un suivi cardiologique régulier chez les patients qui en sont dépourvus améliore leur survie ou si les différences relèvent d’une surinterprétation.