Le 14 octobre prochain, les autorités européennes se prononceront sur une proposition de règlement renforçant les outils pour lutter contre les contenus pédopornographiques. Un texte qui fait polémique.

Pour les uns, c’est un texte indispensable pour lutter contre la pédopornographie en ligne. Pour les autres, il s’agit là d’un outil de surveillance de masse, qui risque de mettre à mal la sécurité et l’anonymat des discussions en ligne. Une chose est sûre : le règlement européen «établissant des règles en vue de prévenir et de combattre les abus sexuels sur enfants» ne laisse personne indifférent. À tel point que ses opposants lui ont donné un petit surnom symbolisant les inquiétudes qu’il soulève : «Chat control».

Tout part d’une proposition de règlement du parlement européen et du conseil. Présentée en mai 2022, celle-ci prévoit d’obliger les fournisseurs de services de communication à scanner les messages privés, même chiffrés, sur les réseaux et messageries afin de lutter contre les contenus pédopornographiques. WhatsApp, Signal, Telegram, Facebook, Tiktok… Tous les espaces, publics ou privés, sont visés.


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La lutte se ferait à travers trois volets : détecter, signaler et retirer le contenu frauduleux. Concrètement, la version initiale du texte, amendée à de nombreuses reprises, proposait d’appliquer la méthode du client-side scanning (CSS) : les images, vidéos et fichiers, seraient analysées avec des modules insérés directement dans les applications des utilisateurs, qui analyseront les données avant même qu’elles soient chiffrées. Actuellement, seule «une poignée» de fournisseurs utilise volontairement ces technologies, déplore le texte, qui prévoit de les y obliger. «L’action volontaire s’est révélée insuffisante pour lutter contre l’utilisation à mauvais escient des services en ligne à des fins d’abus sexuels sur enfants», indique-t-il ainsi.

Une flambée des contenus pédopornographiques

Il faut dire que les chiffres sont effarants. Ces vingt dernières années, le volume de contenus pédopornographiques a augmenté de «façon spectaculaire», alertait le parlement européen en novembre 2024. Entre 2021 et 2023, la sollicitation en ligne d’enfants pour des activités sexuelles a augmenté de plus de 300%, selon la même source, et plus de 100 millions d’images ou vidéos d’enfants victimes d’abus ont été détectées sur internet en 2023, dont 98% de mineurs de moins de 13 ans.

«Il est évident que l’UE ne parvient toujours pas, actuellement, à protéger les enfants contre les abus sexuels, et que les abus commis en ligne représentent un problème particulier» s’alarme la commission européenne. C’est pourquoi il y a urgence à agir, alerte la coalition d’association Eclag : «Les États membres et les élus du Parlement européen disposent d’une opportunité unique d’adopter un cadre législatif européen efficace.»

À la recherche d’un compromis

Mais tout le monde n’est pas de cet avis et le texte divise au sein de l’Union européenne. Il se retrouve bloqué depuis maintenant plus de trois ans au conseil de l’UE, qui réunit les ministres des États membres et dont certains estiment qu’il met en péril la vie privée des utilisateurs de messageries et réseaux sociaux. En novembre 2024, la présidence hongroise l’a remanié, afin de donner des garanties aux plateformes sur la protection du chiffrement. Mais l’Allemagne et les Pays-Bas s’y sont opposés, alors qu’une majorité d’États soutient le projet. Paris reste sceptique: «En France, nous sommes toujours méfiants à l’idée de donner les clés de la vie privée des gens», commente un parlementaire au Figaro . Une réunion fixée le 12 septembre devait trouver un compromis avant le vote prévu au Conseil de l’UE le 14 octobre prochain.

Les mesures «affecteraient l’exercice des droits fondamentaux des utilisateurs des services concernés», alerte le comité européen de la protection des données (CEPD). Le respect de la vie privée et la protection des données à caractère personnel, inscrits dans les textes clefs que sont la Convention européenne des droits de l’homme et la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, sont particulièrement en péril. «Les technologies de chiffrement contribuent de manière fondamentale au respect de la vie privée et de la confidentialité des communications, à la liberté d’expression ainsi qu’à l’innovation et à la croissance de l’économie numérique, qui repose sur le niveau élevé de confiance que ces technologies offrent», ajoute le CEPD. Et de citer la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, qui a formulé plusieurs arrêts dans ce sens.


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Sur internet, des lettres ouvertes et pétitions appellent à abandonner ce projet. «NON à la mise sur écoute de votre téléphone avec Chat Control», clame l’une d’elles, signée par presque 20.000 internautes. Le Parti Pirate, qui défend «la liberté, l’indépendance, l’autonomie» est particulièrement remonté contre cette mesure, et alerte sur le coût (au détriment de l’investissement au bénéfice direct des victimes), l’atteinte à l’intégrité numérique et le risque de «faux positifs». C’est «comme si quelqu’un lisait votre courrier avant de le poster pour vérifier que vous n’êtes pas un pédophile, ce que pourrait d’ailleurs laisser suggérer l’envoi d’une photo du bain de votre petit dernier ou de vos enfants en maillot de bain à la piscine. C’est ce que l’on appelle un « faux positif ». […] Autant de raisons de se lever contre ce texte», s’insurge le parti.