

La génération des baby-boomers (les personnes nées entre 1946 et 1964, dont une grande partie a grandi dans les années 60-70) serait plus forte mentalement que les générations qui ont suivi. Cette impression se nourrit de récits personnels, de souvenirs d’enfance sans écrans et d’un monde plus lent, mais aussi d’études scientifiques comparatives qui montrent que les adultes plus âgés présentent parfois une meilleure régulation émotionnelle et une adaptabilité face au stress.
Pourtant, il faut distinguer ce qui relève de la réalité psychologique, de la condition humaine et des transformations sociales profondes. Ce n’est pas que la génération 60-70 était intrinsèquement plus forte, mais que son environnement et son histoire ont façonné un profil psychologique particulier.
Génération 60-70 : un contexte qui forge la psychologie Une enfance sans écrans et sans gratification immédiate
Dans les années 60 et 70, l’enfance se déroulait dans un décor radicalement différent du nôtre. Pas de smartphone à portée de main, pas de notifications pour combler le moindre silence, pas de vidéos disponibles à la demande. Quand il n’y avait rien à faire… il n’y avait tout simplement rien à faire. Et l’on attendait. On s’ennuyait. Longtemps, parfois.
Cet ennui, que notre époque considère souvent comme un problème à éliminer, faisait alors partie du quotidien. Il n’était ni pathologique ni inquiétant, c’était un temps mort, un espace libre dans lequel l’imagination, la patience et la capacité à se recentrer sur soi pouvaient se développer. Aujourd’hui, plusieurs psychologues rappellent que l’ennui est important dans la construction de la créativité et de la réflexion intérieure. L’ennui obligé le cerveau à produire ses propres ressources plutôt que de consommer des stimulations toutes faites.
Apprendre à composer avec cet inconfort (savoir attendre sans être constamment sollicité, continuer sans gratification immédiate) participe largement à l’équilibre émotionnel. Une compétence, étroitement liée à la résilience mentale, qui se construit moins par l’enseignement que par l’expérience répétée du réel, dans toute sa lenteur parfois frustrante.
Responsabilité et autonomie dès le plus jeune âge
Dans les années 60 et 70, l’autonomie n’était pas un objectif éducatif théorisé, mais une évidence du quotidien. Beaucoup d’enfants apprenaient tôt à se débrouiller seuls :
- préparer leur cartable,
- rendre de petits services à la maison,
- parfois gagner leurs premiers francs l’été.
Rien d’extraordinaire à l’époque, mais une manière concrète d’entrer progressivement dans le réel.
Cette responsabilisation précoce a contribué à renforcer ce que les psychologues appellent le locus de contrôle interne : la conviction que ce qui nous arrive dépend, au moins en partie, de nos propres choix et de nos actions. Une disposition mentale associée à une meilleure endurance face aux difficultés et à une plus grande capacité d’adaptation
Le contraste avec aujourd’hui est frappant. Les intentions sont bien sûr protectrices et bienveillantes, mais l’accompagnement très étroit des enfants et adolescents peut parfois réduire les occasions de faire seul, de se tromper, d’échouer… et donc d’apprendre à se relever. Or c’est souvent dans ces petits ratés ordinaires que se forge la solidité mentale.
Santé mentale : mais c’est quoi la résilience ? Des données scientifiques qui nuancent la nostalgie
La science invite à nuancer les souvenirs enjolivés du « c’était mieux avant ». De nombreuses recherches se sont penchées sur la manière dont les capacités de résilience évoluent avec l’âge. Et leurs conclusions sont plus subtiles qu’il n’y paraît. Une étude publiée en 2012 montre ainsi que les adultes plus âgés présentent, en moyenne, une meilleure régulation émotionnelle et des stratégies de résolution de problèmes plus efficaces que les jeunes adultes.
Pour autant, il ne s’agit pas de dire que le temps rend automatiquement plus fort mentalement. Ces résultats suggèrent plutôt que certaines compétences psychologiques, comme la gestion des émotions ou l’adaptation face au stress, se consolident à force d’être mobilisées, éprouvées, parfois mises à mal, puis réajustées au fil des expériences de vie.
D’autres travaux vont dans le même sens. Plusieurs études indiquent que les personnes plus âgées déclarent souvent moins d’anxiété et un stress perçu plus faible face à certaines situations que les jeunes générations. Une évolution qui pourrait traduire un rapport différent à l’adversité, moins réactif, plus distancié. Non pas parce que les difficultés disparaissent, mais parce que l’on apprend, avec le temps, à les regarder autrement.
La résilience, un concept protéiforme
La résilience n’est ni un super-pouvoir figé ni une qualité acquise une fois pour toutes. Elle se transforme, évolue, se renforce ou s’affaiblit selon les périodes de la vie. Elle résulte d’un équilibre subtil entre des facteurs psychologiques, sociaux et biologiques, bien loin d’une simple question de tempérament ou de génération.
Chez les adultes plus âgés, la capacité à rebondir après des épreuves repose largement sur des éléments très concrets :
- des relations sociales solides,
- une expérience de vie accumulée,
- une meilleure gestion du stress chronique.
Les ressources mentales que l’on observe ne tiennent pas seulement à l’époque à laquelle on est né. Elles s’ancrent aussi dans les parcours individuels, les liens tissés au fil du temps et le contexte social dans lequel chacun évolue.
Alors, pourquoi cette impression ? Parce que la lenteur du monde d’avant faisait office d’entraînement permanent
Avant la révolution numérique, le temps suivait son cours… sans raccourci. Attendre une lettre, un appel, un résultat faisait partie de la vie courante. Apprendre, progresser, réussir demandait de la constance et une certaine endurance. Cette lenteur était simplement la norme.
Mais à force de composer avec elle, toute une génération s’est habituée à gérer l’attente, l’incertitude et l’effort dans la durée, sans la promesse d’une récompense immédiate. Une école de patience discrète, mais redoutablement efficace.
Parce que la culture sociale valorisait la tenue dans le temps
Dans les années 60 et 70, on attendait des gens qu’ils tiennent bon. La responsabilité personnelle, le respect des engagements et la stabilité des relations n’étaient pas de simples idéaux, mais des repères structurants.
Face aux difficultés, on privilégiait la continuité, l’adaptation, parfois le compromis, plutôt que l’abandon rapide ou l’évitement. Cette manière d’affronter les obstacles, moins spectaculaire mais plus durable, a contribué à façonner des stratégies mentales orientées vers la résolution et l’endurance.
Parce que la mémoire collective sait se montrer indulgente
Il faut aussi compter avec le travail silencieux de la nostalgie. Les souvenirs d’enfance s’organisent souvent autour d’images rassurantes :
- la liberté de jouer dehors,
- les relations familiales plus présentes,
- l’absence de pression sociale permanente.
Ce regard rétrospectif tend à gommer certaines difficultés pour mieux retenir l’essentiel. Il nourrit l’idée d’un passé plus solide, sans pour autant prouver une supériorité mentale généralisée.
Stéréotypes générationnels : attention aux idées toutes faites
La génération 60-70 était donc plus forte mentalement ? Tentant, le raccourci. Mais rarement juste. Attribuer une solidité mentale uniforme à toute une génération relève souvent du stéréotype. Ce mécanisme psychologique bien connu qui simplifie le réel en généralisant des traits ou des comportements à un groupe entier. En psychologie sociale, on parle d’âgisme pour désigner ces jugements fondés sur l’âge, qu’ils soient critiques… ou flatteurs.
Car les personnes nées dans les années 60-70 ne sont ni des surhommes, ni des exceptions biologiques. Elles ont simplement grandi dans un environnement particulier, avec ses contraintes et ses règles implicites, qui les a exposées à des défis spécifiques. Comme toute génération avant elle, et comme celles qui lui succèdent aujourd’hui.
À SAVOIR
Une activité physique naturellement plus élevée, bénéfique pour la santé mentale. Dans les années 60-70, l’activité physique faisait partie du quotidien : jeux dehors, déplacements à pied ou à vélo, activités manuelles. Sans être pensée comme telle, elle était bien plus présente qu’aujourd’hui. À l’inverse, la sédentarité croissante observée depuis les années 2000 est identifiée comme un facteur de risque pour le bien-être psychologique.


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