VERTIGE DE L’ALCOOL 4/4 – À une époque où nous nous questionnons de plus en plus sur notre rapport à l’alcool, nous avons recueilli les témoignages de femmes qui ont fait le choix d’assumer, de ruser, ou de lever le pied.

Bouffées de chaleur, maux de tête, palpitations, sueurs nocturnes…Nombreuses sont celles qui se reconnaîtront dans ce profil type de la femme ayant atteint l’âge de la préménopause, qui intervient généralement entre 45 et 55 ans. Des symptômes dont l’intensité peut être aggravée par différents facteurs, parmi lesquels la consommation d’alcool, même en quantité raisonnable. Ce fut le cas d’Elizabeth, 52 ans, directrice de casting à Lyon. «J’ai arrêté l’alcool à 50 ans, non par conviction, mais parce que mon corps m’y a contrainte, se souvient-elle. Je présentais déjà depuis plusieurs années les premiers signes de la ménopause : prise de poids, sautes d’humeur, fatigue… J’avais du mal à les assumer, notamment parce que j’évolue dans un milieu au sein duquel l’apparence physique et la résistance au stress ont une importance énorme, et où la compétition féminine est particulièrement présente».

«Après un verre de vin blanc, je me souviens avoir ressenti une migraine presque insoutenable»

Si elle admet que sa consommation d’alcool était jusque-là principalement «mondaine», avec quelques coupes de champagne à l’occasion d’avant-premières, d’un ou deux verres le soir à l’heure du dîner et un peu davantage certains week-ends, jamais elle n’aurait pu se douter que son corps allait soudainement siffler la fin de la récré. «Tout a commencé alors que j’étais à Berlin pour un festival. Je sortais d’une période de stress intense, entre la préparation de l’événement et l’annonce du cancer de mon père. Ce soir-là, après un verre de vin blanc, je me souviens avoir ressenti une migraine presque insoutenable, des picotements dans le cou, et une soudaine envie de vomir. Sur le moment, j’ai tout mis sur le compte de la mauvaise qualité des vins allemands», plaisante Elizabeth. De retour en France, elle décide de prendre une semaine de vacances chez sa sœur dans les Landes, préférant adopter la stratégie de l’autruche plutôt que de consulter. «À cette période, j’accompagnais mon père à tous ses rendez-vous à l’hôpital, et j’avais les médecins en horreur, s’excuse-t-elle. Je pensais au stress, au surmenage. J’étais loin d’imaginer que mon corps était en train de me dire stop, et j’ai mis quelque temps à faire le lien avec l’alcool». Les mois suivant cette première «crise», elle préfère le déni, ne supportant pas d’envisager de revoir son mode de vie : «J’avais déjà l’impression que l’arrivée de la ménopause était en train de me voler une part de ma féminité, et ayant la réputation d’être plutôt une bonne vivante, je ne me voyais pas passer des soirées entières avec un Perrier tranche ! D’autant que dans mon milieu, refuser un verre est presque vu comme un affront».

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«Mes jambes flageolaient, j’avais du mal à fixer mon regard»

Elle continue donc à boire, par réflexe social autant que par habitude personnelle. «Mais au moindre verre, rebelote. D’abord, la barre au front et des nausées immédiates, alors qu’auparavant, il m’en fallait plusieurs pour ressentir la moindre lourdeur. Puis une sensation de chaleur intense, presque étouffante, qui m’envahissait dès l’apéritif. Je me réveillais la nuit, trempée de sueur, avec le cœur qui battait à toute allure». Dans son entourage, personne ne semble y prêter attention. Mais un jour, au beau milieu d’un déjeuner avec une réalisatrice, elle se voit contrainte de quitter la table après avoir bu un seul verre de Sancerre : «Mes jambes flageolaient, j’avais du mal à fixer mon regard. La honte a été telle que, pendant plusieurs semaines, j’ai évité toute sortie professionnelle impliquant de l’alcool. Le soir même, j’en ai parlé à mon mari, qui s’est moqué gentiment de moi».

Il lui faudra attendre une première consultation chez son médecin de famille pour que le diagnostic tombe : hypersensibilité soudaine à l’alcool, probablement déclenchée par les bouleversements hormonaux liés à la ménopause. «Mon métabolisme, qui jusqu’alors gérait l’alcool sans difficulté, n’était plus capable de le traiter correctement. Le foie, ralenti par les fluctuations hormonales, réagissait de manière excessive. La moindre dose suffisait à déclencher une réaction inflammatoire immédiate : bouffées de chaleur, tachycardie, troubles digestifs. Je me suis retrouvée face à une réalité difficile à accepter : je ne pouvais plus boire, même modérément. Ç’a été un choc».

«J’ai eu l’impression de perdre une partie de moi-même»

Au-delà de la gêne sociale, l’impact sur sa vie quotidienne prend des proportions bien réelles : «Je me souviens d’un anniversaire où l’on insistait pour que je goûte “juste une coupe” de champagne. Un apéritif entre copains où mon refus a suscité des remarques du genre : “Allez, fais pas ta rabat-joie !”». Un dîner où, au moment de trinquer, j’ai dû lever mon verre d’eau gazeuse sous les regards inquiets de l’équipe. Assez rapidement, je me suis sentie mise à l’écart : certaines invitations se sont espacées, comme si mon abstinence était devenue le signe que “je n’avais plus l’âge”, admet-elle, la gorge nouée. Les premiers mois, j’ai eu l’impression de perdre une partie de moi-même. L’alcool avait toujours été un fil rouge de ma vie d’adulte : les vins découverts en voyage, les soirées à discuter autour d’une bouteille, les apéritifs improvisés. Tout ça s’est effacé d’un coup, et j’ai mis du temps à trouver de nouveaux repères».

Au fil des mois, elle parvient toutefois à trouver un nouvel équilibre, et commence même à considérer cette «malédiction» comme l’opportunité de mieux gérer son entrée dans la ménopause : «Mes nuits sont devenues plus profondes, mes réveils plus sereins. Mon niveau de fatigue a aussi diminué. Et, contre toute attente, j’ai aussi gagné en liberté : je peux quitter une soirée quand j’en ai envie, sans être piégée par l’euphorie collective. Quand je vois un verre de vin sur à table, je ressens une certaine tendresse pour la femme que j’étais, mais je n’éprouve ni manque, ni jalousie. La ménopause m’a appris à écouter ce que mon corps me disait, même quand je n’avais aucune envie de l’entendre».