«C’est une pure aberration. On se demande vraiment qui a pu pondre ça ». Tony Daniel est ostréiculteur à Saint-Méloir-des-Ondes, près de Cancale (Ille-et-Vilaine). Depuis des années, cet homme de la mer sort quasiment tous les jours dans la baie du Mont Saint-Michel pour aller prendre soin de ses huîtres. Pour rejoindre ses parcs, le Breton emprunte un chaland, un bateau en aluminium à fond plat qui passe presque partout. Un navire à tout faire, qui est capable de transporter plusieurs tonnes d’huîtres pour les ramener sur le rivage. Un bateau vraiment rudimentaire de 10 mètres de long qui tombe sous le coup d’une nouvelle obligation.
Depuis un arrêté publié en juillet par le ministère de la Transition écologique, tous les navires professionnels de moins de 12 mètres doivent être dotés de toilettes et d’un lavabo. Une véritable avancée pour les marins qui partent plusieurs jours en mer et demandent à travailler dans des conditions décentes. Une complète bêtise pour ceux qui n’y restent que quelques heures. « C’est la plus grande connerie du monde ! Nous, quand on part en mer, c’est pour trois heures, quatre au maximum. On ne va pas installer des toilettes pour ça. Et on les mettrait où ? », s’agace le producteur d’huîtres. Et en cas d’envie pressante ? « On fait en mer », répond le pêcheur.
Si le ministère a imposé cette règle, c’est pour offrir davantage de confort « aux gens de mer ». L’arrêté précise même que « dans la mesure du possible » le navire doit proposer des installations séparées pour les hommes et pour les femmes. « Pour nous, ça n’a aucun sens. Quand on part en mer, c’est pour quelques heures. On fait pipi avant », assure Jana Rose, ostréicultrice sur l’île de Ré. « Et si on a besoin, nous aussi, on peut faire pipi dans la mer, on fait ça à l’ancienne », assure la jeune femme, qui travaille avec sa sœur Charlotte au sein de La Rhétaise.
Les deux femmes ne sont d’ailleurs pas inquiètes face à cet arrêté et préfèrent même en rigoler. « Si on veut améliorer les conditions de travail dans notre métier, il y a bien d’autres choses à faire que de mettre des toilettes sur les bateaux. Je trouve ça vraiment absurde », critique Charlotte Rose.
« Tous nos chantiers sont remis en cause avec leurs conneries »
Dans tout le pays, les producteurs d’huîtres ou de moules sont partagés entre le rire face à cette obligation irréalisable et la colère face à une administration qui ne répond pas. Ils ne sont pas les seuls concernés. Patron du chantier Navalu, Marc Pelletier a été l’un des premiers à s’emporter contre cette décision. « Je suis remonté comme un coucou. Tous nos chantiers sont remis en cause avec leurs conneries. Si ça ne bouge pas, dans trois ou quatre mois, on sera à l’arrêt ».
L’objectif de cet arrêté est d’offrir de meilleures conditions de travail aux marins partant plusieurs jours en mer. - C. Allain / 20 Minutes
Le patron de cette société vendéenne spécialisée dans la construction de ces navires s’agace notamment de n’avoir « aucun retour » de la Direction générale des affaires maritimes, de la pêche et de l’aquaculture (DGAMPA). Et il n’est absolument pas satisfait « des rumeurs » qui évoquent des dérogations pour certains navires. « On ne peut pas travailler comme ça. On ne peut pas demander des dérogations à chaque fois, avec le risque qu’on ne les obtienne pas ».
« C’est parfaitement inutile »
Ce problème, le patron du chantier Navalu ne l’a pas pour les bateaux qu’il exporte en Espagne, en Irlande ou ailleurs en Europe. « Non, il n’y a que la France qui a pondu ça ». Marc Pelletier, comme toutes les personnes que nous avons interrogées, salue d’ailleurs l’ambition de ce texte pour les marins qui partent plusieurs jours en mer. Mais pas pour eux. « C’est impossible à mettre en place. Et c’est parfaitement inutile », tranche Tony Daniel. Des élus des territoires concernés sont déjà montés au créneau. Le député de Charente-Maritime Christophe Plassard (Horizons) a d’ailleurs posé la question à la ministre. Sans réponse pour l’instant.